Freinée par le corporatisme, l’innovation s’est ralentie de moitié en Occident
- Edmund Phelps - letemps.ch
- 29 janv. 2016
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Edmund Phelps, Prix Nobel d’économie 2006, est d’avis que les économies sont d’abord le produit des idées (voir son ouvrageMass Flourishing, Princeton Univ. Press). L’économiste s’intéresse beaucoup aux dimensions culturelles et sociales. La prospérité des deux derniers siècles est, pour lui, le résultat d’un certain nombre de valeurs «modernes», basées sur la liberté, le désir d’innover et d’explorer, de se livrer à la concurrence. Depuis 1970, l’innovation décline en Occident, explique-t-il. Les valeurs traditionnelles et corporatistes prennent le pas sur les valeurs modernes et dynamiques. De passage à Lausanne, invité par l’EPFL à l’occasion des dix ans du Collège du management de la technologie, il accorde un entretien au Temps.
Le Temps: Pourquoi estimez-vous que l’Occident est en déclin?
Edmund Phelps: En Occident, le principal danger économique vient du ralentissement de l’innovation observé depuis plusieurs décennies. Il est mesuré par la productivité des facteurs de production (travail et capital) et ne croît qu’à un rythme de 1% par an depuis 50 ans. C’est moitié moins que durant les décennies précédentes. Ce phénomène a conduit le gouvernement à s’engager dans des politiques fort douteuses, telles que l’encouragement à la propriété, laquelle a conduit à une bulle immobilière aux Etats-Unis et à la crise.
– La perception du public est différente. Avec Internet et le mobile, l’innovation semble aller très vite. Comment expliquez-vous cet écart?
– La perception du public est effectivement différente. Les économistes ont peut-être tort. Mais en l’absence de preuves, je persiste à penser que l’ensemble des forces de l’innovation sont inférieures depuis les années 1970.
Aux Etats-Unis, la quête d’innovation des grandes compagnies bien établies, dans l’automobile ou les céréales, a diminué. C’est peut-être dû à leur taille gigantesque et à des procédés devenus plus bureaucratiques. Ces entreprises ont parfois été dirigées par des patrons dont l’horizon était orienté à trop court terme. Pour un millier de raisons, elles ont arrêté d’innover.
Les jeunes n’ont pu développer leurs nouvelles idées dans l’entreprise. Il ne leur restait qu’à partir ailleurs. Beaucoup ont déménagé dans la Silicon Valley. Mais ne vous y trompez pas. La Silicon Valley ne dépasse pas 3% du PIB américain. A la lecture de certains médias, on a parfois l’impression qu’il s’agit de 30%…
– Larry Page, fondateur de Google, regrette, dans le «Financial Times», que les entreprises procèdent davantage à de petites qu’à de profondes et réelles innovations. Partagez-vous cette idée?
– Larry Page est certainement très compétent sur ce sujet. Mais je suppose qu’en parlant de la sorte, il espère obtenir un financement fédéral des grands projets de recherche. Google pourrait se positionner entre les secteurs privé et public et réaliser de bonnes affaires.
Il serait ridicule et doctrinaire d’imaginer que le gouvernement soit incapable de mener à bien de grands projets s’il y investit assez d’argent. Mais il serait tout aussi naïf de croire que le gouvernement peut jouer le rôle de super-scientifique, sélectionner et définir les meilleurs projets de développement. Le gouvernement est trop éloigné de l’économie. L’Etat n’a ni équipe de recherche et développement ni chef économiste muni d’une boule de cristal qui lui permettraient de connaître les industries du futur. Mieux vaut confier l’innovation aux individus dotés d’un esprit ouvert, créatif, innovateur et d’une bonne connaissance de l’économie.

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