L’élite et le peuple ou la fausse analyse du Brexit
- Gaspard Koenig
- 4 juil. 2016
- 2 min de lecture
Une grande partie de l’establishment a voté Leave. Et le Remain n’était pas l’apanage de la bourgeoisie. La vraie ligne de fracture n’est pas une affaire de classe sociale. Elle sépare ceux qui acceptent une société ouverte et complexe et ceux qui cultivent la nostalgie de l’après-guerre.
Pour avoir exprimé ma tristesse après le Brexit, qui a ravivé le nationalisme dans un pays que j'aime et où vit ma famille, de nombreux compatriotes ont généreusement entrepris de me consoler en m'expliquant que j'appartenais à « l'élite ». J'accepte avec plaisir et reconnaissance mon entrée dans ce nouveau club, dont j'ai hâte de découvrir les privilèges. Vais-je percevoir des fonds secrets ? Connaître les coulisses des négociations du TTIP ? être upgradé en business class sur les longs courriers ?
Je crains néanmoins que mes nouveaux amis ne fassent une erreur d'analyse. Dans le cas du Brexit, une telle opposition entre « peuple » et « élites » est démentie par les faits. Une grande partie de l'establishment britannique soutenait Vote Leave au nom de la souveraineté nationale - à commencer par Boris Johnson, pur produit de l'éducation privée, ou un patron de fonds d'investissement tel que Crispin Odey (qui vint d'empocher 220 millions de pounds en pariant sur l'écroulement de la bourse et du pound), ou cette « Brexiteuse » en robe de soirée m'expliquant que les Roumains menacent les emplois britanniques, dans un pays où le chômage est descendu à un historique 5%. A l'inverse, le camp des Europhiles, si tant est que l'on puisse établir des généralités sur 16 millions de personnes, ressemble à tout sauf à la bourgeoisie traditionnelle. Selon les statistiques disponibles, ont voté Remain : 70% des Musulmans, 73% des Noirs, 60% des Londoniens et 75% des moins de 25 ans (même si la plupart ne se sont pas rendus aux urnes, se contentant d'exprimer leur rage sur les réseaux sociaux : comportement typique des Millenials...). Le point commun de ces différents groupes n'est pas le niveau de revenus, ni même le statut social, mais plutôt une forte exposition au multiculturalisme. Quelle soit la qualité des arguments de fond de part et d'autre, la question clé de l'immigration s'est retrouvée au centre de la campagne du Brexit et a libéré de manière extravagante la parole raciste, transformant inversement le vote Remain en une profession de foi d'ouverture au monde et aux autres. Il est d'ailleurs notable que les cinq circonscriptions les plus europhiles sont également celles où la proportion de « non-blancs » est la plus importante.
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