La fragmentation de l’espace étatique mondial
- Stéphane Rosière - L'espace politique
- 3 févr. 2016
- 3 min de lecture
La multiplication du nombre des États (défini sommairement comme un territoire indépendant, délimité par des frontières, doté d’institutions lui permettant de fonctionner, et reconnu par la communauté internationale) est un processus remarquable de transformation du maillage politique mondial qui ne laisse pas indifférent et tend plutôt à inquiéter. Ainsi, il y a plus de dix ans déjà, Pascal Boniface (1998, 1999) signalait les dangers de cette « prolifération étatique » puis dirigeait un dossier de la Revue internationale et stratégique sur ce sujet (2000). Même si l’on peut critiquer son point de vue comme le fit Scott Pegg (1999) — qui considérait, lui, que « le taux de mortalité des États contemporain est extrêmement bas » (1999, p.139) —, cette dynamique d’augmentation du nombre des États parfois qualifiée abusivement de « balkanisation » du monde mérite attention
1. Cette fragmentation de l’espace met en question de la stabilité de la communauté internationale. Le processus de morcellement à l’œuvre exprime souvent des tensions séparatistes et résulte de guerres, alors que les nouveaux États se trouvent parfois opposés dans une compétition belligène pour le territoire. Ainsi est-ce souvent au nom de la paix ou de la stabilité de la communauté internationale que ce processus d’émiettement de l’espace mondial est critiqué ou dénoncé.
2. Ce papier se propose de mesurer rapidement le phénomène d’augmentation du nombre des États (1ère partie), puis d’essayer d’en déterminer les causes (2epartie) en insistant sur le rôle du principe d’autodétermination (ou « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »), sur la question plus spatiale de la fragmentation politique spécifique à la périphérie des grandes puissances, et enfin en envisageant aussi la dimension économique de cette dynamique ; enfin, nous de tenterons de discuter de la notion d’indépendance que l’on peut considérer à certains égards comme un leurre qui relativise ce processus (3epartie).
3. Le XXe siècle a été marqué par la multiplication rapide du nombre des États.2.Si l’on s’en tient au nombre de membres de la Société des Nations puis de l’ONU — même si ces organisations ne regroupaient pas systématiquement tous les États indépendants, cette donnée a, malgré tout, valeur d’ordre de grandeur —, on constate que la Société des Nations (SDN) comptait moins de cinquante États membres en 1920 et une soixantaine dans les années 1930. Les Nations Unies comptaient 51 membres lors de leur fondation en juin 1945, puis l’organisation a connu une croissance spectaculaire du nombre de ses membres, notamment par le biais de la décolonisation3. Une centaine de nouveaux États, n’appartenant pas au groupe des pays fondateurs, et pour la plupart anciennes colonies européennes, a en effet accédé à l’indépendance entre 1946 et 20014. Ainsi, l’organisation internationale comptait 158 membres en 1989 et atteignait les 185 membres en 1994 puis 192 en 2006 (le dernier État ayant adhéré aux Nations Unies, étant, cette année-là, le Monténégro).
4. Trois grandes vagues de croissance peuvent ainsi être mises en exergue : le début des années 1960 (+38 membres de 1960 à 1968 inclue), plus modestement la première moitié des années 1970 (+ 23 membres) et le début des années 1990 (+ 25 membres). A l’inverse, les années 1980 furent marquées par une croissance faible (7 nouveaux États membres seulement entre 1980 et 1989). L’analyse diachronique de ces rythmes mériterait d’être poussée mais épouse la décolonisation au sens restreint du terme (vagues 1 et 2) et le morcellement du bloc socialiste au sens large (vague 3).
5. Le nombre des membres de l’ONU est stable depuis cette date, soit quatre années au moment où ces lignes sont écrites, ce qui n’est jamais arrivé à l’organisation qui a accueilli en moyenne plus de deux États membres par an depuis sa création... Cependant, cette stabilité est sans doute trompeuse et le processus de fragmentation devrait vraisemblablement se poursuivre.
6 D’une part, les Nations Unies reconnaissent le statut d’observateurs à la Palestine et au Saint-Siège. La Palestine reconnue par 109 États (dont deux membres du Conseil de sécurité) apparaît ainsi comme une entité au statut transitoire qui a vocation à pleinement intégrer la communauté internationale. Par ailleurs, un certain nombre de peuples manifestent aussi leur volonté séparatiste – latente ou en dormance, elle pourrait se réaffirmer ; certains peuples ou organisations contrôlent des territoires qui sont de factoindépendants qui ne sont pas reconnus comme des États, loin s’en faut, mais sont tangibles sur le terrain... Ces États « fantômes » invisibles sur les planisphères politiques posent de nombreux problèmes.
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