Typologie des espaces-frontières à l’heure de la globalisation
- Remigio Ratti et Martin Schuler -
- 20 janv. 2016
- 4 min de lecture
Cet essai est une contribution à la théorisation des effets frontières, proposant une vision synthétique sous forme de typologie. Celle-ci thématise le changement de nature du rôle des frontières et de leur impact spatial : à partir des territoires contigus des frontières traditionnelles, on passe aux espaces fonctionnels de relations économiques et politiques désormais insérées dans la globalisation.
Après l’illustration de la construction du tableau typologique et des concepts qui sont à sa base, chaque cas est brièvement présenté dans ses caractéristiques concernant le rôle de la frontière, ses effets et l’éventuelle gestion des discontinuités.
Introduction
1 L’analyse des régions frontières – et en particulier des espaces-frontières et des politiques transfrontalières – présente des situations très différentes d’un cas à l’autre. Les processus d’intégration politique et la globalisation de l’économie vont dans la direction du redéploiement des vieilles frontières (Schuler et al., 1999), voire de leur effacement, mais cette tendance implique soit des décalages, soit de véritables retours en arrière ou, encore, l’avènement de nouvelles frontières (World Development Report, 2009). La réalité est toutefois si complexe que l’on rencontre des situations apparemment inextricables sans forcément s’interroger sur la nature changeante du rôle des espaces-frontières. La frontière est une construction historique évolutive et un objet spatial en mutation (Espace Temps, 2004) : “La 'frontière' est habituellement comprise comme la “limite de souveraineté et de compétence territoriale d’un Etat”. De nos jours, la prégnance de cette définition semble s’estomper à l’échelle mondiale, accompagnant ainsi le processus de relativisation multiforme de l’Etat. Il faut y voir l’effet de l’évolution des techniques de transport et de communication, la dynamique et l’ampleur des échanges économiques, mais aussi la prise en considération politique d’une plus grande interdépendance du système-monde”.
2 Ainsi, en proposant une vision synthétique sous forme de typologie des différentes combinaisons entre visions spatio-temporelles (fixe, mobile, horizon) et approches du pouvoir politique en la matière (ligne ; zone ; globaliste ; cf. figure 1), nous croyons pouvoir offrir une contribution à la théorisation des espaces-frontières.
3 La matrice contient une partie (les quatre premiers cadrans) que l’on peut qualifier de classique parce qu’elle utilise les conceptions courantes de la frontière (Guichonnet et Raffestin, 1974), complétée d'une deuxième partie (5 cadrans) qui est le fruit de l’introduction de deux paradigmes nouveaux : celui d’un horizon spatio-temporel complètement ouvert et celui d’une politique “globaliste” du pouvoir politique. En particulier, on constatera toute une série d’effets à caractère fonctionnel qui effacent les effets territoriaux traditionnels ou s'y ajoutent.
La construction d’une typologie des frontières : une combinaison entre conceptions spatiales des espaces du pouvoir politique et des dimensions spatio-temporelles de la frontière
Considérations introductives
4 L’article, qui se concentre sur l'élaboration d'une typologie, ne contient que les références spécifiques et renvoie pour la théorie à la littérature générale et aux autres contributions dans ce numéro.
5 Cette contribution à la théorisation par une typologie représente un pas supplémentaire par rapport à des publications antérieures (Ratti, 1991, 1994, pp. 15-33) en formalisant les combinaisons classiques (Ratti, 2003, pp. 11-14) entre frontières fixes ou mobiles versus frontières lignes de séparation ou zones de contact, en d'autres termes, une typologie valable pour les espaces continus, bien que mouvants et dynamiques.
6 L’observation des phénomènes en cours concernant la frontière montre une variété d’implications spatiales, en bonne partie mises en évidence aujourd’hui par les processus de globalisation, mais en principe préexistantes. “L’existence de la frontière – affirme l’économiste Claude Courlet (1986) – ne s’apparente pas à un acte arbitraire, mais répond à une logique de projet (de l’économie capitaliste, ndr) qui se joue aussi bien à l’intérieur de l’espace considéré que face à d’autres espaces”.
7 Toute une série de facteurs introduisent de nouvelles limites dans la transition entre espaces ruraux et espaces urbains (Leimgruber, 2004). La société moderne, entre global et local, enregistre de profondes modifications dans les dynamiques des périphéries et des zones frontières. La mondialisation a pour conséquence – écrit Denis Retaillé (2012) – de conduire à une présence du Monde partout, ce qui lui permet de considérer trois types de limites : la frontière, le front et l’horizon, selon que ces limites aient deux bords, un bord, ou pas de bord du tout. Gabriel Popescu (2012) arrive à des conclusions analogues: “Borders acquire territorial mobility by being embedded into flows so that bordering can be performed anyplace in the Earth”. En quelque sorte, les frontières des flux s’insèrent et agissent à l’intérieur même des territoires, tandis que les zones frontières jouent, dans la globalisation de ce début du 21esiècle, un rôle de transition et de pont, voire dans certains cas de catalyseur, dans la connexion entre États.
8 Dans ce contexte actuel de bouleversements, l’analyse des frontières exige de mettre l’accent sur les processus et sur les phénomènes de mobilité (Popescu, 2012) exprimés par une demande simultanée, paradoxale, de liberté de mouvement et de sécurité territoriale rassurante. Il devient ainsi de plus en plus évident de considérer les traces laissées dans l’horizon ouvert des flux et des réseaux de la globalisation et de saisir les modifications dans la géographie des espaces-frontières, sans perdre de vue que le résultat sera celui d’une grande variété de frontières. Ceci pousse à persévérer dans le choix d’une construction typologique.
9 La prise en considération dans notre nouvelle lecture des concepts d'“horizon” et de dimension “globaliste” élargit le cadre en produisant neuf cadrans types au lieu des quatre de l’approche traditionnelle. A partir des frontières continues de l’approche classique, l’analyse vient ajouter les nouvelles frontières des espaces fonctionnels engendrés par les relations économiques, sociales et politiques désormais insérées dans la globalité.
La construction d’un schéma typologique postmoderne des frontières
10 Notre schéma typologique postmoderne des frontières combine des espaces contigus de l’approche classique avec des espaces à horizon ouvert de l’approche globaliste.
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