Éloge de la bi-nationalité
- Hakim el Karoui - lopinion.fr
- 29 déc. 2015
- 2 min de lecture
La bi-nationalité est au cœur du projet de réforme constitutionnelle qui permettra de déchoir de leur nationalité française pour fait de terrorisme tous les binationaux, à la différence donc des autres Français. On va créer deux catégories de Français mais aussi deux catégories de terroristes. Les frères Kouachi auraient ainsi été déchus de leur nationalité française mais pas Fabien Clain, un des bourreaux les plus actifs de l'État islamique, l'homme qui a revendiqué les attentats du 13 novembre.
Rien de bien neuf tant la bi-nationalité a toujours irrité le vieux fond assimilationniste français qui manie, il est vrai, les paradoxes : ouvert sur l'universel, il favorise le métissage de la population française tout en enjoignant les nouveaux Français à se fondre discrètement dans le melting pot hexagonal. Aujourd'hui un quart des Français a au moins un grand-parent d'origine étrangère et la France compte autour de 5 % de binationaux.
Georges Perec, dans un essai d’autobiographie (Je suis né, Le Seuil, 1 990), rappelait : « Je suis né en France, je suis Français, je porte un prénom français, Georges, un nom français, presque, Perec. La différence est minuscule : il n’y a pas d’accent aigu sur le premier e de mon nom, parce que Perec est la graphie polonaise de Peretz. » Le presque rien qui manque à son nom lui donnait « le sentiment d’être quelque part étranger par rapport à quelque chose de moi-même, d’être différent, non pas tant des autres que des miens. »
Ce que raconte Perec, c’est ce que vivent les enfants d’immigrés, d'où qu'ils viennent : la difficulté de la relation avec les parents qui ne partagent avec eux ni la même histoire ni la même culture. Les enfants s’efforcent presque instinctivement d’adopter les valeurs du groupe majoritaire, par désir mimétique, alors que les parents gardent celles qui leur ont été transmises dans leur enfance. Et plus la distance entre les générations est grande, plus les problèmes d’autorité se posent.
Identité de substitution. Pour les enfants de Maghrébins, la transition est d’autant plus complexe qu’elle suppose de faire le lien entre des systèmes de valeurs arabe et français diamétralement opposés : à l’autorité paternelle traditionnelle succède un système beaucoup plus libéral de relation entre les générations ; au système endogame un système exogame ; à l’inégalité entre les hommes et les femmes un système plus égalitaire. Mais les enfants et a fortiori les petits-enfants de Maghrébins ne sont pas nostalgiques de leur pays d'origine : pour une raison simple, là-bas aussi, ils sont vus comme des étrangers.
La bi-nationalité suppose une transition difficile, faite d’allers et retours, de conflits, d’incompréhensions. Elle explique les quêtes d’identité d’adolescents méprisés par leurs espaces identitaires multiples, qui peuvent trouver en l’islam une identité de substitution : « Vous n’êtes pas complètement Français ; vous n’êtes plus vraiment Marocain, Algérien, Tunisien, Sénégalais ? Ne craignez rien, vous êtes musulmans. » Et si les esprits sont fragiles et soumis à l'influence de ceux qui veulent terroriser au nom de l'islam, le danger est là.
Mais ce n'est pas en stigmatisant les binationaux que l'on résoudra ce problème. Au contraire, on créera ainsi encore plus de problèmes d'identité. Et l'on oubliera tout ce que la bi-nationalité a apporté à la France.
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